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Les coulisses du projet de loi racontées par son architecte
Les coulisses du projet de loi racontées par son architecte

La Presse

time26-07-2025

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Les coulisses du projet de loi racontées par son architecte

En 2005, le Canada devenait le quatrième pays au monde à légaliser le mariage entre conjoints de même sexe. Les coulisses du projet de loi racontées par son architecte Vingt ans après l'adoption du projet de loi légalisant le mariage entre deux personnes de même sexe, son architecte, l'ancien ministre de la Justice Martin Cauchon, en raconte les coulisses Sur son bureau, Jean Chrétien a posé un dictionnaire dont une page est marquée d'un signet. Celle où se trouve la définition du mariage : « Union légitime d'un homme et d'une femme, à l'exception de toute autre personne ». À son jeune ministre de la Justice, Martin Cauchon, qui a sollicité la rencontre, il lance : « Comme ça, tu veux changer la définition du dictionnaire ? » Le chemin vers la légalisation du mariage pour les conjoints de même sexe au Canada aura été ponctué de nombreuses batailles juridiques, telle une série de dominos qui basculent l'un sur l'autre. PHOTO SYLVAIN FOSTER, FOURNIE PAR MARTIN CAUCHON L'ancien ministre de la Justice Martin Cauchon Pour Martin Cauchon, le plus important de ces dominos tombe en juin 2003, lorsque la Cour d'appel de l'Ontario confirme que la définition du mariage viole la Charte canadienne des droits et libertés. Son sous-ministre, Morris Rosenberg, lui en fait part lors d'un breffage, comme un dossier parmi tant d'autres. Le réflexe d'Ottawa dans de tels cas : porter la cause en appel devant la Cour suprême. Sauf que Martin Cauchon trouve que la situation accroche. Je me disais que la population canadienne mérite qu'on ait une discussion et que ce ne soit pas les tribunaux qui décident d'une question aussi fondamentale sur le plan sociétal. Martin Cauchon, ancien ministre de la Justice Devant lui, le sous-ministre Rosenberg cache mal son inquiétude. « Il savait qu'on ouvrirait tout un pan qui, comme ministre de la Justice, me causerait beaucoup de difficultés », se remémore Martin Cauchon. Une expérience toute personnelle Sa sensibilité à la cause lui vient d'une expérience toute personnelle. Durant ses études à l'Université d'Ottawa, au début des années 1980, il travaille au cabinet de Charles Lapointe, alors ministre du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau. « Charles était homosexuel, il fréquentait quelqu'un et le cachait. Moi, je trouvais ça pas normal. Voyons donc, son orientation sexuelle, on n'en a rien à cirer ! Ce qui est important, c'est ce qu'il peut apporter à la société ! » PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE Martin Cauchon en 2003, à l'époque où il était ministre de la Justice De retour en 2003, c'est donc vers son ex-patron que Martin Cauchon se tourne pour prendre le pouls de la communauté homosexuelle. Une rencontre est organisée à Montréal avec, notamment, Laurent McCutcheon, militant connu de la cause LGBTQ+ qui a mis sur pied quelques années plus tôt la Fondation Émergence. La question des droits des conjoints de même sexe est déjà dans l'air du temps. « Une vraie avancée » Alors président de la Chambre de commerce gaie du Québec, l'actuel président sortant de la Fondation, Patrick Desmarais, se souvient d'avoir trimé auprès des politiciens. « On rencontrait les ministres des Finances, juste pour avoir la reconnaissance fiscale des couples de même sexe », se souvient-il. Sous la gouverne du ministre de la Justice Paul Bégin, l'Assemblée nationale vient de donner le feu vert à l'« union civile » qui confère aux conjoints québécois de même sexe les mêmes droits qu'aux couples hétérosexuels. À Montréal, les représentants de la communauté homosexuelle font comprendre au ministre Cauchon que s'il veut marquer l'histoire, il devra poser une brique de plus à l'édifice. « On m'a dit : le ministre Bégin vient de faire ça [l'union civile]. Si tu veux faire quelque chose pour avoir une vraie avancée, il faut que tu franchisses la dernière barrière qui est le mariage », se souvient Martin Cauchon. « C'était plus que symbolique, tu leur donnais un droit qu'ils n'avaient pas. » Un changement radical C'est donc armé de ces arguments qu'il sollicite une rencontre avec le premier ministre. Malgré l'accueil que lui réserve Jean Chrétien, la conversation est « constructive ». « C'était sa façon de me dire que c'était un changement radical pour la société et qu'on s'attaquait à une question extrêmement difficile », se souvient-il. « Il voulait comprendre d'où je venais. » PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Jean Chrétien et Martin Cauchon sur la colline du Parlement, à Ottawa, en 2003 Une fois convaincu, le premier ministre l'épaulera jusqu'au bout, en commençant par l'inviter à faire une présentation lors d'une retraite du Cabinet. À la sortie de la rencontre, le gouvernement Chrétien annonce qu'il ne contestera pas la décision de la Cour d'appel de l'Ontario et qu'il déposera un projet de loi pour légaliser le mariage entre conjoints de même sexe. Mettre le couvercle sur la marmite Bien conscient qu'il fera face à une opposition féroce des groupes religieux, Martin Cauchon concocte son projet de loi d'habile façon. D'un côté, celui-ci légalise le mariage civil entre conjoints de même sexe, de l'autre, il laisse aux religieux le droit de ne pas le célébrer. Pour assurer ses arrières, le ministre sollicite l'avis de la Cour suprême par le biais d'un « renvoi ». En décembre 2004, les plus grands magistrats du pays bénissent le texte législatif. Ça a mis le couvercle sur la marmite parce que personne n'a osé aller en cour pour contester le mariage de deux personnes de même sexe. Patrick Desmarais, ancien président de la Chambre de commerce gaie du Québec Cela n'empêche pas Martin Cauchon d'affronter un fort vent de face. Lorsqu'il présente le tout au caucus libéral à North Bay, en Ontario, en août 2003, ses collègues députés viennent tour à tour au micro pour descendre en flammes le projet de loi. Jusqu'à ce que le sénateur Laurier LaPierre, alors militant actif pour les droits des homosexuels, se porte à son secours. « Il a fini son discours en disant : 'Je vous demande d'appuyer le projet de loi non pas parce que c'est une question de droit, mais parce que vous le sentez ici', en pointant son cœur », se souvient Martin Cauchon. « Jean Chrétien et moi, on s'est regardés, et je savais que je venais de l'emporter. » Le retour du pendule Son projet de loi recevra la sanction royale le 20 juillet 2005, sous le mandat de son successeur, Irwin Cotler. Le Canada devenait ainsi le quatrième pays au monde à légaliser le mariage entre conjoints de même sexe, après les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003) et l'Espagne (2005). Vingt ans plus tard, Martin Cauchon souligne le fort appui dans la population canadienne au mariage entre personnes du même sexe qui atteignait un sommet à 75 % en 2021, selon la firme Ipsos. « Il y a bien du monde qui m'a dit que ma carrière politique était finie à ce moment-là », rappelle-t-il. « C'était tellement clivant, il devait y avoir 60 % de la population qui s'y opposait. » Toujours selon Ipsos, un léger recul a été enregistré dans les plus récentes années, mais celui qui pratique aujourd'hui comme avocat-conseil pour le cabinet DS Avocats Canada ne craint pas pour autant un ressac juridique, comme cela s'est vu aux États-Unis. « À mon époque, on avait le vent dans les voiles et la droite sociale avait un peu plus de difficulté. Aujourd'hui, le pendule est un peu rendu de l'autre côté, mais il va revenir à gauche. L'important, c'est d'avoir une démocratie qui est saine. »

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